Gilbert Petit est parfois Monsieur Mazout, un pseudo pour séparer les différentes facettes de son travail. Un artiste engagé et motivé pour transmettre et partager son art et son savoir. Depuis 40 ans, il est installé à Bagnolet en banlieue parisienne et au fil des ateliers dans lesquels il a travaillé, il a aussi créé des associations, organisé des festivals, encadré des enfants et mis de la couleur sur les murs environnants, dans une ville qui en avait bien besoin.
Il nous en dit un peu plus sur son parcours, comment les choses se sont articulées, et ce qui l’anime. Ses images sont singulières, avec un peu d’abstrait et de géométrie, des animaux, son fameux chien, des silhouettes humaines, pour des constructions alambiquées.
Avec plusieurs niveaux de lectures, Gilbert oscille entre un dessin naïf et un monde poétique qui nous parle de notre futur, mais aussi de notre passé. L’artiste est partie prenante de nombreux projets, et c’est L’Odyssée qu’il nous présente aujourd’hui, dans lequel POSCA a une petite place.
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Comment tu as trouvé ce nom, Gilbert Mazout ?
Ça remonte à l’enfance, comme beaucoup de choses. J’habite Bagnolet [93] depuis près de 40 ans, et quand on allait vers les Puces de Montreuil, je voyais écrit « Charbon & Mazout » dans la rue en grosses lettres et je me disais : « Waouh, la classe, je ne sais pas qui sont Charbon & Mazout mais ils ont leurs noms en gros sur les murs… » En grandissant, je me suis rendu compte que Charbon & Mazout n’étaient pas des personnes.
Mais j’ai accroché sur l’un des noms, Mazout. C’est un nom que la langue française a digéré, que l’on retrouve en Europe de l’Est mais aussi au Maghreb, orthographié et prononcé différemment. Et je voulais un truc qui tache, comme je fais de la peinture et que j’aime bien aussi poser sur les murs ça m’a semblé être exactement le mot qu’il fallait. Je voulais aussi un nom qui soit ironique pour un artiste.
Tu es aussi Gilbert Petit dans certaines publications
concernant ton travail…
Oui, et j’utilise les deux. Pendant longtemps j’utilisais Gilbert & Mazout, puis à un moment donné j’ai fait sauter le « & ». Et quand je me suis retrouvé à faire des ateliers avec des enfants, ils m’appelaient Monsieur Mazout. J’ai trouvé ça génial, je me suis dit : « Ce nom me colle, il faut le garder, il faut l’assumer. ». Et avec Petit, je rends hommage à ma famille en utilisant ce nom, du coup il est moins usité, ou alors c’est quand je veux paraître plus posé, ou quand je me retrouve dans des milieux où effectivement Mazout ça passerait moins bien.
Quel type d’artiste es-tu ?
Je suis un artiste un peu polymorphe ou polyvalent, je suis très lié au dessin et à la narration, avec aussi une tendance abstraite. Et j’aime changer de médiums et de médias, varier mes techniques, c’est pour ça que je me définirais volontiers plasticien, avec une tendance forte pour le dessin et l’illustration.
Peux-tu nous parler de ton parcours ?
À partir de l’école primaire, en voulant devenir absolument un dessinateur parce que je trouvais que ceux qui dessinaient bien dans la classe avaient le regard de toutes les filles et des autres. Je me suis dit que moi aussi je voulais être une star. Ça a commencé comme ça, ça n’était vraiment pas une bonne intention, mais finalement ça s’est transformé dans le bon sens.
J’étais fan de bande dessinée et dans les années 80 c’était Bilal, Moebius, Druillet et l’apparition de L’Association [ça commence en 1982 avec un fanzine, puis ça devient un éditeur spécialisé dans la BD] qui libérait le trait. Il y a eu tout un cursus lié à ça, générationnel, avec des fanzines en collectif.
Aujourd’hui on en retrouve certains chez des éditeurs comme Casterman ou au magazine Fluide Glacial, et pour ceux un peu plus bohème dont je fais partie, on est sur les murs.
Je ne suis pas entré aux Beaux-Arts ou aux Arts Décos, c’est pas faute d’avoir voulu, c’est juste que j’étais nul dès que je participais à un concours. Le seul prix que j’ai gagné c’est un prix de BD scolaire à Angoulême quand j’étais en première.
C’était un grand moment de ma vie, j’ai gagné un écureuil en or, en faux or, parce que c’était organisé par la Caisse d’Epargne, et un magnétoscope VHS, qui est aujourd’hui une pièce de collection, mais pour l’époque c’était la classe ! Mon heure de gloire a commencé comme ça, ensuite je me suis débrouillé tout seul pour faire ce que j’avais envie de faire.
On retrouve dans ton travail la mémoire, le rêve, le futur…
Il y a plein de trames et de fils conducteurs que l’on peut cerner. J’ai beaucoup utiliser la craie, qui s’apparente à un travail de mémoire en fait, puisque ça disparaît. Ça entraîne l’idée de conservation, de garder une image, et la mémoire et le futur vont de paire.
J’appartiens à une génération à qui on disait : « le futur, c’est l’an 2000 », donc on a rêvé de l’an 2000 en rêvant de vaisseaux spatiaux et de trucs incroyables, des trucs qui existent maintenant, mais qui ne représentent pas le futur aujourd’hui.
Je suis aussi assez fan de ce que peut-être le culte des ancêtres, en Afrique par exemple, qui existe aussi en Europe. La mémoire du passé qui ressurgit ou qui est honorée, un travail qui ramène à une spiritualité proche de l’animisme, et qui ouvre des portes quand on se confronte tout à coup aux nouvelles technologies.
J’aime ces croisements passé / futur, imaginer une culture animiste aujourd’hui ça me plaît, même si ça existe déjà, sauf que l’on a tendance à penser qu’on est les meilleurs et que c’est notre monde rationnel qui donne le la. J’ai opté pour un « animisme futuristique ».
Aujourd’hui, qu’est-ce que tu dessines ?
Il y a un retour aux formes géométriques, à une abstraction semi-cubiste, constructiviste, avec cette fantaisie de retrouver des formes naïves. Les arts premiers m’influencent beaucoup, j’y retrouve une écriture simple qui parle à tout le monde, qui interpelle, qui émeut, qui fait resurgir des émotions qui appartiennent à notre passé commun.
En ce moment, je travaille un style que j’appelle le « ghost dog style », un tracé direct en noir sur fond jaune, ce genre d’écriture automatique. Ça me rappelle les coups de téléphone de l’époque, avec un fil et un cadran, on était dans son salon, one pouvait pas se déplacer. Il y avait toujours un carnet pour noter ou dessiner, et j’aimais les formes qui ressortaient. Ça pouvait partir dans tous les sens ou géométrisé car il y avait des petits carreaux, ce genre d’écriture me stimule. Par mon éducation, ma culture, mes influences, la spontanéité que je pouvais avoir à un moment donné qui remonte à l’enfance, je ne l’ai plus. Elle est là, en demande, mais quand elle sort c’est sous une forme qui est presque normée. Je me bats contre ça et en même temps je suis fasciné par ça, car c’est aboutissement d’une vie à vouloir chercher quelque chose.
J’ai récemment travaillé à Limoges avec des personnes autistes et trisomiques, et j’ai pris une claque visuelle, humaine, parce que leurs dessins étaient d’une pureté incroyable. Ils ont entre 40 et 50 ans, et ils ont gardé cette force et une intention que je n’ai plus. J’ai trouvé ça fascinant.
Quelles seraient tes influences ? L’art naïf ?
On peut évoquer le Douanier Rousseau dans les constructions de tes murs, c’est une comparaison possible ?
Je suis né à Lomé au Togo et j’ai grandi en France, ma mère est d’origine indo-vietnamienne, je suis un produit des ex-colonies françaises. Du coup, j’ai ce socle que je redécouvre à chaque fois, j’aime bien le prendre comme un élément non dominant de ma personne et que je peux alimenter en retournant aux sources ou en posant les bonnes questions. Pour moi, il doit y avoir du mixe, c’est important. En ce qui concernent cette influence naïve, c’est une fausse naïveté car je peux traiter de sujets durs à travers des images flatteuses, très colorées. J’aime bien attraper le spectateur dans des visuels chaleureux et agréables pour parler de sujets plus difficiles.
Concernant le Douanier Rousseau, en tant qu’influence oui, mais une partie de son œuvre seulement : les grands formats les plus célèbres, avec ces végétations, ces panthères, ces ambiances tropicales. Alors qu’il n’a jamais quitté la France. J’aime bien cette idée de n’être jamais allé dans un endroit et d’être capable d’en décrire une ambiance avec beaucoup d’artifices, sans arrière-pensée, qui te fait croire que la personne y est allée.
Et d’où vient ce chien que l’on retrouve régulièrement dans ton travail ?
C’est un chien qui est apparu dans mes toiles dans les années 90, puis il a pris le devant. Je me souviens qu’un jour on était avec l’artiste Teurk, on voulait faire du tag, mais c’est pas mon truc, et ce qui est sorti c’est un chien, ce fameux chien. Et il est devenu mon chien mascotte. Bon, en Palestine, quand on y est allés ensemble, les gens l’ont pris pour un âne. Et on s’est fait interpeller par la police en train de peindre, ils ont mentionné que quelqu’un dessinait des vaches sur les murs. J’avais trouvé ça original, et je n’avais pas compris que c’était de moi dont on parlait ! Ce chien a plusieurs formes, il a ce coté Milou que j’aime bien et un peu goguenard à la Keith Haring dans le trait. Du coup, il est devenu un compagnon, même si d’habitude je vis plutôt avec des chats.
Pour finir, tu peux nous en dire plus sur le projet Odyssée ?
C’est un projet sur lequel on participe avec les Petits Bains et la Guinguette Pirate, qui sont des péniches installées dans le 13ème à Paris, et d’autres intervenants. C’est un projet tourné vers la culture et l’eau. L’idée c’est de faire des ateliers orientés arts urbains pour les jeunes, des capsules culturelles de création, des parcours dans la ville, et pour tous les âges. Ça se passe dans le 93, un département où il y a pas mal d’eau avec le canal de l’Ourcq par exemple, mais aussi à Paris.
Il y a des parcours créatifs avec des fresques à colorier pour les plus petits, des visites d’ateliers d’artistes et de faiseurs, la fabrication et customisation de manches à air en formes de poissons, on va créer des îles flottantes en mode design et récup’ de bois que l’on pourra semer dans la ville pour faire prendre conscience aux jeunes qu’ils peuvent fabriquer des prototypes ou des objets incongrus.
Il y a aussi la construction de petits bateaux, et si tout va bien une mise à l’eau en septembre, avec l’idée que chaque cité ait le sien, avec son étendard et ses couleurs. C’est le thème de l’Odyssée, le voyage, la découverte et les rencontres…
« Ce qui me titille en ce moment ce sont les crayons de couleurs, ça se rapproche de mon travail à la craie. Ils ont une qualité de pigment remarquable sur papier noir. Et pour les marqueurs, ce sont les pointes rondes que j’adore, surtout pour le ghost style que je pratique.
Et il y a un bleu récent qui est arrivé… [il cherche dans une boîte] c’est le ‘vert d’eau‘ ! Cette couleur, je réfléchis à ce que je vais pouvoir en faire car elle me fascine. Et en pointe, ma préférée est la 5M, pour un dessin jeté. En fait, je crois que cette pointe me rassure… »