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Bust The Drip, danseur, peintre et bien plus…

21.11.2024
 traces,  traits  &  ondulations... 

balancé, lâché, jeté

Alexis signe BUST THE DRIP depuis une quinzaine d’années. Il n’a pas fait l’école du graffiti ni celle du tag, il a commencé par la danse. Le mouvement, le geste. Puis il a dessiné. Croquis, collages, murs puis façades, sont devenus ses surfaces d’action, avec un style chorégraphique inédit : il traduit et trace à la main les ondulations de son corps.

Influences diverses, expériences transformées, Bust prend et modifie pour affiner son style. Il puise pour mieux se faire confiance, susciter les sens du spectateur et interagir avec son environnement. Rencontre avec cet artiste franco-jamaïcain qui écoute et entend pour mieux se mouvoir et s’exprimer.

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 L'idée  (...)  c'était  de  faire  de  la  danse  un  art,  presque  martial... 

Comment tu découvres le mouvement hip-hop, et la danse ?

Je le découvre par une jeune fille au pair qui me gardait, et qui aimait danser. Elle était canadienne-jamaicaine et était en France pour ses études. Elle m’a montré les premiers clips de MC Hammer, dont « U Can’t Touch This », elle dansait dessus à balle, et ça été le premier shockwave pour moi. Elle m’a engrainé direct, je n’ai pas eu trop le choix.

Comment on s’y met sérieusement ?

Ma mère est prof de danse modern-jazz donc j’avais déjà une expérience, mais c’était très différent du hip-hop qui était plus explosif, plus entraînant. Quand elle a vu que j’étais attiré par la culture hip-hop, elle m’a emmené à la Cité Véron, vers Montmartre, où à l’époque il y avait des cours ouverts du crew de breakers The Family, avec Cédric et Ibrahim. Ça a été une nouvelle phase.

Autour de la vingtaine, au moment des soirées où tu es en recherche de reconnaissance, où tu danses pour te faire remarquer, tu commences à rencontrer des entités qui t’amènent vers un travail plus sérieux. Là, ça prend une autre forme. Au départ tu es un jeune fougueux plein d’énergie, qui lâche pas mal de mouves, mais ce qui donne vraiment une structure c’est quand tu commences à poser une philosophie dessus, une vision et une manière de l’aborder. Ça m’a permis de prendre confiance en moi.

Tu recherchais l’esthétique ou la performance ?

Le premier truc qui m’a fait vraiment jubiler c’était de « monter » les foules, de se dire qu’avec deux/trois mouvements les gens vont rentrer dans le truc. La technique et la performance sont venues après, et l’esthétisme avec la technique. L’idée dans les années qui ont suivies c’était de faire de la danse un art, presque martial.

On n’est pas les plus à l’aise en France avec le fait de bouger son corps, non ?

Ce qui est drôle en France, et en Europe en général, c’est que l’on a une facilité à sculpter et peindre le corps, le représenter à nu, décomplexé. Mais ça n’est pas tant dans la culture de le mouvoir, il y a des peuples et des nations qui ont gardé un rapport plus traditionnel avec le corps et le mouvement. Je pense que c’est le mélange culturel qui fait que les choses se modifient, et aujourd’hui les institutions s’intéressent aux cultures urbaines, d’ailleurs on va retrouver le breakdance aux Jeux Olympiques de 2024. On est dans le changement.

 Pour  observer  le  mouvement  (...),  il  faut  trois  éléments  :  être  immobile,  silencieux  et  aligné... 

Tu es aussi peintre, à quel moment tu te mets à dessiner ?

Bizarrement, j’ai toujours plus ou moins dessiner depuis le collège. Je dessinais du Dragon Ball Z sur les tables, je laissais un dessin dans chaque classe. C’est là que j’ai commencé à avoir un coup de crayon, et après la danse a pris le dessus.

Ensuite, j’ai fait une prépa pour entrer aux beaux-arts, mais ça ne m’a pas plu. Ça m’a donné des outils, mais ne t’attends pas à trouver ta voie ou de te trouver là-bas. Et ce qui m’avait un peu rebuter c’est d’avoir surpris une conversation pendant des portes ouvertes, un père demandait : « Je sais que ma fille ne sait pas dessiner, mais elle veut rentrer aux beaux-arts, c’est combien ? »

J’avais une idée un peu romantique du dessin et de l’art, et je me suis frontalement confronté à la réalité. Je me suis dit : « Bon, bah, j’ai pas besoin de vous les gars, je vais faire mon truc tout seul ! », et je me suis réfugié dans la danse. Et un pote, Alexandre, qui est Hopare, m’a dit : « Tu fais des dessins cools, viens dans la rue, je t’emmène ! » Ça m’a mis le pied à l’étrier et encouragé. J’ai poursuivi et je n’ai pas lâché.

La peinture c’est une extension de ton corps liée à la pratique de la danse ?

Oui, c’est un continuum de ce que j’ai accumulé en danse. Et comme je ne danserai pas de manière aussi performante toute ma vie, je voulais garder cet attrait du mouvement, le côté lâché que je retrouve en danse. Du coup, j’ai mis en adéquation un plan plat et un medium qui est le marqueur ou le pinceau, et j’ai cherché comment faire converger le mouvement vers le bout de ma main, avec tout mon corps. Et comme j’ai un intérêt particulier pour les sciences des énergies, j’appelle ce que je fais « inside waves ». C’est l’idée que ça vibre et que c’est toujours en mouvement.

C’est ce que je souhaite communiquer aux spectateurs, parce que c’est important de se rappeler que la vie est mouvement. Et pour observer le mouvement, comme disent les alchimistes, il faut trois éléments : être immobile, silencieux et aligné. Et là, on peut voir le mouvement. C’est un peu l’idée quand on regarde une de mes créations : il faut être immobile, silencieux et aligné, et on y verra plusieurs niveaux de lectures.

Mon sujet de prédilection ce sont les corps en mouvement. Et par exemple, quand tu m’as vu dans la rue, c’était un pur freestyle [cf. la photo debout sur la barrière à côté du dessin violet.], je fais le corps comme il va sortir. Mais je vais aussi utiliser des modèles, des danseurs, notamment pour mes toiles. Je les rencontre, on fait une séance photo avec des angles que j’aime, et qui sont dynamiques et esthétiques pour avoir une idée de ce que ça pourrait donner. Et si tout ça colle bien, je le dessine.

 C'est  aussi  ça  qui  m’intéresse  :  d'imposer  aux  gens  de  prendre  le  temps... 

On te compare souvent au peintre Jackson Pollock et au graffeur Mode 2, mais je trouve que ça n’est pas vraiment justifié…

Je les cite spontanément, en fait. Pollock, c’est quelqu’un qui m’a frappé dans la manière de faire, et instantanément j’ai essayé pour comprendre la gestuelle. C’est ce qui se rapprochait le plus de ce que je voulais exprimer. Mode 2, c’est une référence hip-hop des années 80 et 90, les graphismes de Battle of the Year, la compétition internationale de danse hip-hop. C’est son crayonné qui m’a inspiré.

La différence ultime entre eux et moi c’est qu’ils ne sont pas danseurs. Donc quand on me parle de mouvements, je sais de quoi je parle. Quand on me parle de fréquence, c’est quelque chose que j’ai étudié pendant mes études en électricité, et que j’ai appliqué en faisant un peu de musique, en découpant de la fréquence et en la composant. J’ai aussi été régisseur lumière, j’ai appris à maîtriser les longueurs d’ondes pour pouvoir jouer avec les chromatiques sur scène. Et même si je n’étais pas un as en physique, de regarder à l’oscilloscope des vibrations et de les transposer en phrases hiéroglyphiques au tableau, je trouvais ça fantastique !

Tu fais converger dans l’onduleur qu’est le spectateur plusieurs types de fréquences, le cerveau sera le mélangeur et il retranscrira une sensation. En danse on interprète le son avec le corps : tu regardes, tu entends et d’un coup tu vois un corps se mouvoir, en adéquation avec le son. Ça prend une autre dimension car tu as deux sens qui sont sollicités. J’ai appliqué ça à la peinture.

C’est pour cette raison que lorsque tu peins c’est très chorégraphique, et en même temps très abstrait…

Oui, c’est abstrait. Ce qui est drôle c’est le regard de certaines personnes qui ont l’habitude de voir un graphisme très cerné, défini, qui est très prégnant, donc forcément ça caresse l’œil, et il aura une compréhension direct de l’information. Au départ, quand je peins c’est une dose d’informations qui n’est pas compréhensible, et qui demande un temps, de prendre le temps. C’est aussi ça qui m’intéresse : d’imposer aux gens de prendre le temps, de voir ce qu’ils regardent.

Oui, pour voir et comprendre ton travail on doit rester jusqu’au bout…

Voilà, soit les gens s’arrêtent et regardent tout le processus, soit ils passent devant, sont intrigués et ils repassent pour voir le résultat final. Ils doivent ensuite faire le lien entre ce qu’ils ont vu et le résultat. C’est un happening.

Ce qui est paradoxal c’est que je ne le ferai pas sur une scène, je ne suis encore totalement à l’aise avec ça. Dans la rue il y a ce côté : moi je peins, toi tu marches, tu es interpellé, tu regardes et tu es capté par un truc. J’aime ça, penser que le mec va rentrer chez lui et dire : « J’ai vu un gars qui peignait au coin de la rue… », tout en se grattant la tête en essayant d’expliquer ce qu’il a vu.

L’expérience

« J’utilise des Posca surtout dans le cadre de sketches et pour faire des esquisses, c’est adapté à mon travail. L’encre est bue par le papier et ça laisse de l’intensité avec le pigment, et surtout on peut le retravailler avec un peu d’eau, ça donne une dimension intéressante. En taille, j’aime le PC-17K, c’est l’obus ! Il permet de faire beaucoup de choses dans la rue, ou sur des falaises ! Sinon, pour dessiner sur du A4, les 1M et 3M c’est pas mal, et le PCF-350 avec la plume, très très chouette. »

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