Nils Inne n’est pas comme ses personnages. Il est agité, hyperactif, il parle beaucoup, réfléchit tout haut, et rapidement se met à dessiner pour occuper son temps. Il a arrêté l’école très tôt, pas vraiment adapté à rester assis sur une chaise pour écouter le prof. Il a donc fait du skateboard à plein temps, avec l’accord parental.
Quelques marques le soutiennent, Nils voyage pour faire des photos et des vidéos, il est dans les magazines, et de cette vie, il en retient les bons moments et la liberté qu’il a acquis. La suite logique, c’est le dessin. Il le pratique depuis tout petit, et avec acharnement ça deviendra son métier. Il nous en parle en plus amples détails.
Tu es de passage à Paris, tu as réalisé une grande fresque près de la place de la Nation, tu peux en dire plus ?
J’y ai passé à peu près trois semaines au pinceau sur un échafaudage. Et là, je suis revenu pour quelques retouches, il y a des coulures à cause des plantes en haut du mur et j’ai fait des modifications au POSCA noir pour que les contours soient nets.
Les gens m’ont dit que les défauts ne se voyaient pas, mais je voulais que ce soit propre. Elle fait 14 mètres sur 7 mètres de haut, un beau bébé. C’est un peu dommage car c’est dans une cour d’immeuble, on l’aperçoit seulement de la rue. Mais tous les gens qui bossent ici la verront.
Tu es aujourd’hui un artiste / peintre, tu peux revenir sur ta pratique du skate qui est une activité très liée à ce que tu fais maintenant ?
J’ai commencé le skate à Nice, on habitait au septième étage au-dessus de l’esplanade du MAMAC. Et quand j’y pense il y avait une grande sculpture de Calder (relocalisée au musée Matisse aujourd’hui) et on skatait dessus. Je ne savais pas ce que c’était bien sûr. Je devais avoir 9/10 ans et mes parents pouvaient me surveiller depuis le balcon. Il y avait une bande de grands qui skataient, qui étaient très sympas.
Quelques temps après, je fais un peu de tag à la bombe… D’ailleurs j’ai une anecdote, je racontais un peu des histoires et un grand me voit taguer TOS et me dit que je devrais plutôt taguer MYTHO. Le soir, je m’entraînais chez moi sur un cahier, mon père me voit faire et il me dit ce que ça veut dire. Là, j’ai réalisé que tout le monde avait grillé que je racontais un peu des conneries !
Mon père faisait du surf au Maroc et il a skaté dans les années 70, à l’ancienne, sur une petite planche en plastique. Il faisait des peintures à l’aérographe, des trompe-l’œil. J’ai le souvenir de décors de désert avec des cactus, des carcasses d’avions très réalistes, des vieilles pompes à essence rouillées qu’il a pu peindre dans des restos par exemple. Un dessin très technique. Son père était architecte et il l’avait formé sur les perspectives et les proportions, tout ce que je ne sais pas faire en gros !
Quand j’avais une dizaine d’années, mon père me disait tout le temps que je dessinais bien, il m’encourageait vachement. Petit, tu dessines un peu à la Basquiat, Keith Haring ou à la Robert Combas, comme ma fille aujourd’hui. Alors que moi, je voulais dessiner comme lui, des peintures très réalistes !
À quel moment tu vois d’autres styles qui te plaisent ?
Je me souviens quand on allait au musée Matisse à Nice m’être dit en voyant ses découpages d’enfants : « Quel escroc ! » (Sourire.) Comme tout le monde, quand tu vois de l’art moderne tu penses que c’est facile. D’ailleurs, parfois on me demande combien je suis payé pour faire ces dessins de gamins ! Je voyais Matisse ou Picasso, je trouvais pas ça ouf, ce qui me faisait rêver c’était les pochettes du Wu-Tang !
J’ai adoré la pochette du disque de Genius du Wu-Tang, Liquid swords, et les images du hip-hop en général. Et c’est bien plus tard, quand je suis allé souvent skater à Barcelone, que j’ai vu des gens graffer des bonhommes bizarres, des chats comme CHANOIR ou un autre qui faisait des sucettes. Ça peignait au pinceau, des personnages déglingués, très colorés. Des styles de graff qui étaient très différents des graffitis français. Ça m’a vachement motivé, je me suis mis à peindre mes espèces de modules et personnages chelous.
Vers 20 ans, je me suis rendu compte que faire un dessin simple était très difficile. J’ai l’habitude d’en faire des tonnes, de charger, et même le mur de Nation est très fourni. Mais un simple dessin sur un grand mur, ça peut être vachement bien, par contre il faut oser ! Maintenant que je regarde les histoires des artistes, ça part souvent de quelque chose de technique pour aller vers la simplicité.
Tu as eu ce genre de remarques ?
Le peintre Jean-Robert Delpero, qui est aussi un médecin très connu [et le père des champions de surf Antoine et Édouard], est venu à l’une de mes expos et il m’a dit : « Franchement, tu as dégraissé. »
Je n’ai pas osé lui demander ce que ça voulait dire, j’étais un peu déçu. Il m’a expliqué que c’était un compliment et j’ai compris que ça voulait dire simplifier, dans le bon sens du terme. Simplifier m’a pris du temps et je suis loin d’avoir terminé. Peut-être qu’à 50 balais, je ferais des peintures en mode Miró, et là, tous les jeunes se diront « Mais quel escroc ! ».
C’est important les retours des gens qui regardent ton travail ? Tu as eu pas mal de visibilité, notamment parce que tu as dessiné pour des marques de planches de skate qui ont été commercialisées.
C’est vrai que souvent tu as envie de plaire quand même ! Tu as envie que ton dessin plaise au plus grand nombre, d’avoir des bons retours. J’ai fait mes premières expos dans les skate-shops et maintenant je suis très content de faire des phat fresques. Ça marche bien, je vends à des collectionneurs, et même à la Fondation du Prince de Monaco.
J’ai vendu des œuvres aux enchères là-bas, et j’ai même serré la main du Prince. Sa sœur, Caroline de Monaco, a toujours été sensible à l’art, elle a fait faire des dessins à Keith Haring à l’hôpital de Monaco pour les enfants (voir la photo ci-dessous).
Tu as fait des choses en partenariat avec la ville de Biarritz aussi.
J’ai repeint un abri côtier, c’était au moment de la naissance de ma fille. J’ai proposé d’en faire une chapelle, comme ont pu faire Matisse ou Jean Cocteau. J’ai proposé un croquis et ils ont accepté. C’est un peu abîmé aujourd’hui, j’aimerais bien la restaurer avec du carrelage.
Et en termes de collaborations avec des marques de skate ?
J’ai eu l’occasion de dessiner une série de planches pour la marque française Cliché, qui n’existe plus. J’étais vraiment flatté car ils avaient bossé avec plein de gens dont j’aimais beaucoup le travail. Je leur ai envoyé des propositions faites au POSCA et ils ont tout de suite accepté.
Je pensais qu’on allait faire plein de modifications, mais c’est allé très vite. Quand je vois les planches aujourd’hui je suis fier, mais c’est vraiment un premier jet ! Pour la promotion, on est allé filmer une vidéo dans un skate-park DIY à Toulouse et j’ai peint les modules. Aujourd’hui, tout le monde m’en parle encore! J’ai aussi fait une planche avec la marque Magenta, pareil j’étais vachement content.
Aujourd’hui, tu aspires à quoi ?
J’ai envie de faire plus de fresques, de travailler avec les villes sur des sculptures skatables par exemple, créer des choses qui vont rester dans le temps. Inconsciemment, comme mon père dessinait et que mon grand-père était architecte, c’est vraiment quelque chose qui me tient à cœur de lier le dessin et le mobilier urbain sur lequel on peut faire du skate.
On appelle ça le skate-urbanisme. Ça donne des endroits où tout le monde se croise. Si dans les villes on s’entendait tous bien et qu’on arrête de juger les gens qui s’approprient l’espace urbain, ça serait un bon début pour mieux cohabiter et vivre ensemble !
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Si tu dois citer un artiste dont le travail te plaît particulièrement et que tu as rencontré ?
Entre la peinture et le skate, ce sont aussi les rencontres qui comptent. J’aime beaucoup le travail de Fernando Elvira, qui a fait l’une des premières séries pour Cliché. Ses dessins et collages sont très simples, très colorés, ou tout simplement noir et blanc. C’est en voyant son travail que j’ai réalisé à quel point ça marchait bien.
L’été dernier, il m’a contacté et il est passé chez moi. Il est un peu plus âgé, il est végétarien, il fait du yoga, il est très sérieux. Moi, je pensais que j’allais être décevant car parfois je vais manger avec ma fille au McDo, il va me voir comme l’antéchrist ! Et pas du tout. Le gars est trop cool, il a la patate, il m’a raconté des histoires sur New York dans les années 90 où il allait beaucoup, il fréquentait les Beautiful Losers… C’était génial.
On a dessiné ensemble, à la craie, au râteau dans le sable sur la plage ou le soir avec ma fille. Il m’a donné confiance en mon dessin, et sur le fait qu’il fallait continuer à skater. Ça a débloqué un truc chez moi, j’ai lâché prise et changé d’état d’esprit pour skater le plus longtemps possible, dessiner et bien vieillir.