Lucas Beaufort dessine, beaucoup et partout, surtout lorsqu’il voyage, ce qui représente 90% de son temps. Il a eu plusieurs vies et l’actuelle lui convient tout à fait. Pour le moment. Artiste atypique, franc, direct, spontané, il n’y va pas par quatre chemins quand il a des choses à dire, mais c’est surtout la création qui l’accapare, « chaque seconde compte ! » comme il aime le clamer. Voici comment se traduit un moment en sa compagnie.
Je connais le gars qui a créé le magazine depuis le lycée. Il faisait du BMX, toujours à fond pour faire et créer des trucs. Il avait une marque de vêtements, et il faisait Désillusion, un fanzine. On avait 17/18 ans, je faisais du skate, on était potes.
Quand j’ai fini mes études il m’a proposé un boulot : gérer la publicité pour Désillusion. On a bossé huit ans ensemble, une histoire longue, une formation à la dure. Mais ça permet de progresser… et le magazine a commencé tellement bas, avec une playmate à l’intérieur, qu’il fallait se remettre tout le temps en question pour avancer. Ça a été rigoureux, et c’est comme ça que je suis dans mon travail artistique aujourd’hui. Ce que je fais, je peux toujours l’améliorer et je ne suis jamais satisfait.
C’est clair que j’en ai surpris plus d’un ! Je ne t’apprends rien mais dans la vie les gens te mettent dans une case. Tu es le gars de la pub, tu ne peux pas être le gars du dessin. Les gens ne vont pas du tout comprendre, on va dire « Il s’est perdu, faut lui donner une lanterne et lui indiquer le chemin. »
Quand j’ai commencé à dessiner, c’était un pur hasard : noël 2006, je ne savais pas quoi offrir à mon frère, je fais un dessin et je lui offre. Quand je le revois je le trouve horrible, mais j’ai fait ce qu’il y avait à faire. Ma famille, qui était plutôt encourageante, m’a dit « C’est cool, tu devrais pousser le truc », et on m’a demandé une toile. « Vous voulez une toile que vous allez mettre dans votre salon ?! » C’est ce qui m’a donné envie de continuer.
Du coup Désillusion a vu que je dessinais, ils ont été surpris, et j’ai eu une page d’illustration dans chaque numéro. C’est vrai que c’est bizarre de commencer à 26 ans, mais je crois que c’était latent. Je faisais beaucoup de cauchemars, et quand j’ai commencé à dessiner ça s’est calmé. Des terrible, terrifiques, on me découpait en rondelles. Le dessin a permis d’extérioriser tout ça.
J’aurais du mal à définir mon style, la seule chose que je sais c’est ce que je veux véhiculer : l’échange, l’amour des autres, on est là pour partager un moment, un chocolat, un café, c’est tellement important pour moi. Et surtout, je crois qu’être très motivé te permettra d’accéder à tes rêves.
Permets-moi de sortir cet exemple : avoir 14 ans dans un petit village, Valbonne, V.A.L.B.O.N.N.E, dans le Sud-Est, où il y avait quelques skateurs et une super place avec sept bancs en marbre. J’ai encore cette image de moi avec une planche Daewon Song, je badais [qui se traduit par « j’appréciais beaucoup » – ndlr] Daewon Song à l’époque. Vingt ans plus tard je lui dessine une planche pour la marque Almost, et ben… il y a une fierté derrière ça, c’est encore une preuve que c’est possible.
J’ai fait environ 800 couvertures, je voulais arrêter car des gens disaient que je ne savais pas faire autre chose (sourire). Ça m’a touché, et un mois plus tard j’en refais une, je la poste, et j’écris : « À bas les médisants, si j’ai envie de le faire, je le ferai. »
Quand les gens disent « Lucas customise des covers » je trouve ça nul ! Ça va plus loin que ça. Il y a des gens impliqués dans la fabrication de cette image, un photographe, un skateur, mais aussi des marques, les magazines qui la font paraître. Et moi, on ne m’a pas invité ce jours-là mais je me suis mis dedans. Mon personnage aurait pu être un passant, il a regardé l’action. C’est une façon de dire : « j’aurais aimé être présent. » On peut le transposer différemment, dire qu’on accepte l’étranger aussi.
J’ai cru en tant qu’artiste que c’était bon de fédérer. J’ai fait LB Project en Europe, des expos à Amsterdam, Paris, Berlin, Barcelone, Copenhague. J’ai rassemblé dix artistes, comme Michael Sieben et Todd Bratrud, des mecs que j’idolâtrais, qui ont fait beaucoup pour le skate. J’ai payé un billet d’avion à chacun pour les rencontrer. Je leur ai donné cinq planches de skate qu’ils ont peintes. Et on a fait les expos. Les fonds que j’ai récoltés avec LB Project, je les ai donnés à la fondation Skateistan.
D’ailleurs l’artiste Jeremy Fish, la légende de San Francisco, a cru en mon projet, et il a fait un truc extraordinaire. Il a découpé les planches, ça ressemble à une boite que tu ouvres avec un personnage à l’intérieur. Là, j’ai compris que j’étais à des années lumière de la créativité. Et quand je vois la photo du travail de Georges Rousse que tu m’as montrée, ça réveille et ça motive pour aller encore plus loin.
Ensuite j’ai emmené le LB Project aux États-Unis, et j’ai intégré des photographes. J’ai imprimé une photo de skate sur cinq planches, et je les ai données à un artiste. C’était un clin d’œil aux re-covers que je fais. J’ai donné l’argent à la Harold Hunter foundation, plus les planches que je n’ai pas vendues.
Après ça je me suis dit que réunir des artistes c’était bien, mais difficile. On n’est pas sur le même tempo, c’est beaucoup de mourons pour une bonne cause, mais ils ont travaillé gratuitement, donc ils ont d’autres priorités. Le LB Project m’a permis de produire le docu Devoted. Et là je me suis dit que j’allais me faire plaisir, avec quelque chose qui me tient à cœur : les magazines de skate, le print.
T’as touché un truc-là. Je suis ultra féministe. J’aime plus la femme que l’homme. Grâce à elles la terre n’a pas explosé. Ma femme, c’est mon diamant, c’est elle qui a fait ce que je suis aujourd’hui.
https://www.instagram.com/lucas_beaufort
Lucas est à l’initiative de THE ART CAMP