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T-Kid 170, l’interview back to the roots

21.11.2024
 skinny,  super  skinny,  phat,  on  se  devait  de  tout  inventer... 

de NYC to Paris, France

T-Kid170 est une légende vivante, un pilier de la culture graffiti. Il vient du Bronx et a forgé avec ses camarades de l’atelier peinture un véritable mode de vie, fait d’action et de création. Ça commence en mettant son pseudo sur un mur du quartier, puis une fresque sur un métro, ensuite c’est de la chance et de la volonté, et ça peut se passer autour du monde pour exercer sa passion. T-Kid se raconte, soit 45 ans de burners, wholecars, graffitis, fresques, muraux…

https://www.instagram.com/tkid170

Comment c’était de grandir dans le Bronx en étant writer ?

C’était pas tant de grandir comme writer le problème, c’est que j’étais tout le temps dans la rue. Et dans le Bronx des années 70, il y avait beaucoup problèmes et de gangs.

Quand j’étais jeune, je faisais des acrobaties sur les balançoires du parc en bas de chez moi, et j’ai gagné une battle contre un autre jeune. C’est là que les plus vieux m’ont appelé King, pour King of the Swings [le roi de la balançoire].

Un jour j’ai tagué King 13 sur un mur en face du parc, là, les mecs du gang du quartier sont venus me voir en disant : « Eh, tu tagues dans notre turf, faut que tu sois dans le gang pour faire ça. » Moi, je ne savais même pas que turf voulait dire le quartier ! Ils m’ont dit qu’ils avaient vu mes acrobaties sur la balançoire, et que c’était cool, donc ils n’allaient pas me foutre une raclée.

Puis j’ai commencé à écrire King13 en 1973, j’avais 13 ans. J’ai gardé ce nom un moment, ensuite j’ai quitté le gang. J’ai écrit Sen102 à Spanish Harlem, avec les Renegades of Harlem, il y avait Smokey, Diamond Dave, Danco. Et avec Sly108 des Savage Sumari, on allait faire des bonnes sessions vandales. Je suis resté avec les Renegades pendant deux ans, et en 1977 j’ai été shooté par balles, c’est là que j’ai décidé de quitter les gangs définitivement.

J’aimais beaucoup le graffiti alors j’ai pris le nom de T-Kid pour recommencer. On m’appelait Big T car j’étais grand et costaud, donc j’ai gardé le T, et Kid car j’étais souvent le plus jeune dans les bandes. Donc T-Kid, et 170 pour la rue où j’habitais.

Le graffiti m’a permis de laisser la rue. J’aimais aller dans les tunnels pour peindre, et je suis devenu bon rapidement. J’ai fait des burners à gogo, j’ai eu plusieurs noms : Dr.Bad, Wake5, Bro2, mais c’est T-Kid dont les gens se souvenaient. À cette époque, dans mon crew, TNB / The Nasty Boys, il y avait Peser, Mike-Dust, Joker-1, Rase qui était aussi Cooper, La Rock…

En 1980, j’ai décidé de faire un break, entre autres parce qu’il y avait pas mal de violence. J’ai arrêté un an, et quand j’ai vu que le graffiti commençait à entrer en galerie, ça m’a branché. J’ai été invité à aller peindre au Sam Esses studio avec Dondi, Zephyr, Futura, S-E 3 aka Sweet Eric aka Haze, Revolt, Ne aka Min-1, Case 2, Cos-207… Tout le monde était là, c’était dingue ! C’était la première collection de graffiti, et elle était exhaustive.

Ensuite j’ai participé à un programme qui s’appelait No More Trains, où j’ai travaillé avec des jeunes qui avaient été arrêtés alors qu’ils peignaient des métros. Je leur faisais faire ce que l’on appelle du Positive community work [travail d’intérêt général]. J’étais payé par Krylon et des grosses entreprises pour nettoyer les portillons dans le secteur de la 14ème rue. En plus je faisais des murs rémunérés.

J’ai fait ça un moment mais le graffiti m’a repris, et je suis retourné dans les entrepôts pour peindre des métros. J’ai recommencé à les saigner de 82 à 85, I was killin’ it! J’ai fait des centaines de nasty burners, et c’est là que j’ai affirmé mon style. On retrouve des traces de tout ça sur Internet, et dans mon film.

La chance que j’ai eu c’est que Henry Chalfant, qui a fait le livre Subway Art avec Martha Cooper, a suivi mon travail en le prenant en photo, et des gens en Angleterre l’ont vu, surtout le graf que j’ai fait pour mon père quand il a eu une attaque cardiaque. Ils m’ont alors demandé de venir à Londres pour peindre un mur pour la marque de cassettes (audio) TDK, et ça m’a exposé à l’Europe. Depuis je reviens à chaque fois que j’en ai l’occasion (sourire).

 New  York  aime  le  graffiti,  ça  fait  partie  de  la  culture  de  la  ville 

Et en termes de graffiti, il y avait de la compétition avec les autres quartiers ?

Pfffffff ! Tout le temps ! C’est pour ça que le graffiti est devenu si gros et si populaire. Le graffiti, c’est un art qui parle à tout le monde, c’est de la communication. Quand je faisais un T-Kid sur un métro au Ghost Yard [lieu mythique du graffiti, un entrepôt où se trouvait les métros], on ne savait jamais où il allait aller : Queens, Manhattan… ou Brooklyn, et là mon pote Sonic le voyait passer et direct il avait la pression pour faire un métro à son tour. Quand un Sonic arrivait dans le Bronx, ça me foutait bien les boules, et j’y retournais.

Tu peux faire des personnages, des lettres différentes, mais le graffiti, c’est quand même de graffer ton nom sur des trains. Il faut que ça bouge, que ton nom circule d’un point à un autre. Tout le monde était dans ce délire : Dondi, Lee, ouais, Lee c’était le meilleur, oublie ! Tout le monde parle de Dondi, il était bon, mais franchement il a explosé car Martha Cooper a pris plein de photos de lui. Un des meilleurs c’est vraiment Lee, The Fabulous Five Lee ! et pas Fab Five Freddy !

C’est lui qui est le héros du film Wild Style ?

Voilà ! C’est lui. Personne ne savait ce qu’il écrivait, il était très discret. D’ailleurs c’est marrant parce que Charlie Aheam, qui a fait ce film, l’a appelé Wild Style car les gars comme Zephyr avaient un certain style, et on a dit que c’était du Wild Style. Mais c’est faux. Wild Style c’était le crew de Stacy168, un des maîtres du graffiti, il y avait aussi Jimmy-Hahah, Bac, Chi-Chi 133… D’ailleurs je me souviens quand Zephyr m’a demandé d’entrer dans le crew, Tracy m’a dit : « Il a un flingue ? » Je lui ai répondu : « Non », alors il a dit : « Fuck him! ». That was Tracy!

Pour ceux qui ne connaissent pas le graffiti et ses techniques, tu peux nous apporter quelques précisions et expliquer ce qu’est un burner, un wholecar…

Aahhhh… un burner c’est un style. C’est un style compliqué et des lettres imbriquées, connectées, il y a le style mécanique, robot, organique, bubble. Il y a aussi un jeu de couleurs et quand le métro bouge, c’est flamboyant, c’est pour ça que ça s’appelle un burner. Quand le métro arrive à quai, en plein soleil, c’est boom, ça irradie !

Un wholecar, c’est quand tu peins un wagon en entier, de haut en bas, du début à la fin. Il y a le window down, c’est quand tu peins en dessous des vitres. Tu as différents types de window down, comme le end to end, du début à la fin du wagon. Tu peux aussi faire un one panel, et dessus tu peux mettre un throw-up ou le taguer.

Est-ce que les anciens apprenaient le graffiti aux plus jeunes ?

Tracy168 m’a appris le graffiti, et avant lui Padre Dos qui s’appelait Jesus Cruz, paix à son âme. Il m’a appris à peindre, il était inspiré par Tracy, mais surtout par Phase2, qui est le parrain du graffiti, et qui a inventé tous les styles, du bubble, au mechanical, c’est the man. Padre Dos est un descendant de ce gars, il a appris en le regardant. Padre m’expliquait comment tracer des lettres, où mettre des flèches, et surtout à les combiner entre elles.

Quand j’ai rencontré Tracy en 77, il m’a dit que j’avais du style et que je serais bon si je continuais, il a vu un truc en moi. Il m’a surtout appris à piquer des bombes, la composition et la valeur commerciale du graffiti. Ils ont été mes profs, Padre a été mon mentor.

Les bombes, c’était ton premier outil pour peindre ?

Les marqueurs étaient mes premiers outils. Pilot, Uni, Mini, Uni wide, ensuite j’ai utilisé des bombes, et mes favorites c’étaient les Red Devil… de la crème… vraiment bien. Krylon avait beaucoup de couleurs, mais ça n’était pas la meilleure peinture, pas assez couvrante, il fallait passer une couche de blanc avant.

Il y avait Rustoleum, c’était pas facile à trouver, et elles marchaient bien avec des fat caps [embouts trafiqués pour que les traits soient larges, ensuite des tailles ont été déclinées et vendues] Gefen. Il y avait pas de caps en vente à l’époque : skinny, super skinny, phat… on se devait de tout inventer.

Quand tu parles de métro, tu deviens très émotif !

C’est sûr oui… Je l’ai vécu, c’est ma culture. Faire un train, tu vois, il n’y a rien de plus jouissif dans le monde. J’ai fait le graffiti Breakdance, quand le wagon est arrivé dans la station de la 96th sur la ligne 2, on était sur le quai, il y avait plein de monde, et les gens ont applaudi. J’te jure ! c’est un moment incroyable. New York aime le graffiti, ça fait partie de la culture de la ville.

Pour passer à autre chose, comment tu te retrouves à faire des ateliers à Villiers-le-Bel dans le 95 ?

Je peignais à La Place à Châtelet sur les palissades, et une enseignante est passée avec sa classe. Les enfants ont voulu peindre et je leur ai donné quelques conseils. Quand la maîtresse a vu ça, elle m’a demandé de venir dans sa classe pour leur montrer.

Les enfants aiment vachement le graffiti et le street art, et ils veulent s’exprimer, se lâcher, c’est pas évident car à Villiers-le-Bel il y a pas mal de problèmes. Mais c’est leur environnement, et si tu y restes ça peut mal tourner. Je leur ai transmis ce message : « Tu aimes peindre ou danser, tu peux le faire ailleurs, et revenir de temps en temps ici. » Il faut leur donner un petit coup de pouce dans la bonne direction.

 On  avait  toujours  une  caméra  quand  on  allait  peindre,  on  filmait,  tout  simplement  ! 

Tu as une relation particulière avec la France…

J’aime la France ! Le premier français qui graffait que j’ai rencontré à la fin des années 80, au Roxy’s, c’est Bando… J’ai ensuite rencontré Mist qui est venu à New York. Et dans les années 90 j’ai rencontré le Mac crew : Kongo, Colorz et les autres. Ils m’ont invité à venir à Paris pour le festival Kosmopolite, puis j’ai rencontré Fafi et le crew de Toulouse aussi. La France est ma seconde maison.

D’ailleurs quand tu viens à Paris, tu habites chez Wuze, comment tu l’as rencontré ?

Ah ! On s’est rencontrés à la Gare express, via un ami commun Yann, Lazoo. J’ai vu son talent, il est bon, et en plus il sait utiliser les logiciels de graphisme, c’est important aujourd’hui. Il m’a ouvert sa porte, on est devenus amis, c’est cool d’être chez quelqu’un, de découvrir la ville avec lui. Et puis il m’a introduit auprès du staff POSCA, c’est vraiment cool, car pas toujours évident d’en trouver à New York. J’adore les utiliser sur des toiles, ou pour dessiner sur ces trains [des wagons en 3D sur lesquels il peint et qui seront exposés à la Next Street Gallery.]

Il y a aussi un documentaire sur toi, The nasty terrible T-Kid, ça arrive comment ?

J’ai sorti un livre en 2005, et lors d’une signature en Californie, j’ai rencontré un gars qui s’appelle Carly de Love Machine films, une boite de production, il m’a interviewé, et comme ça s’est vachement bien passé, on s’est dit pourquoi ne pas faire un film ensemble ? J’avais pas mal d’images de l’époque, c’était simple à organiser. C’est cool de voir son travail en plein écran !

C’est intéressant car aux États-Unis les cultures émergentes sont très documentées, il y a beaucoup d’archives…

J’ai plein de trucs en vidéo, sur plein de type de cassettes, et dire que mon ex-femme a failli s’en débarrasser ! On avait toujours une caméra quand on allait peindre, on filmait, tout simplement ! On pensait pas à ce qu’on allait en faire. Il y a aussi les collectionneurs qui permettent la sauvegarder les œuvres. Il y en a plusieurs qui suivent mon travail, ce qui me donne l’occasion d’organiser et classer mes toiles, ce sont des gens très différents, d’ailleurs, un trader de Wall Street m’a présenté à des personnes des hôtels Radison, ils veulent que je peignent leurs lobbys. Je suis dispo !

Quand j’étais jeune j’étais hardcore, maintenant j’ai envie d’être payé pour ce que je peins, je fais partie de l’histoire ! Si Monsieur Orange, Donald Trump, veut une peinture, qu’il paie ! Je suis prêt à peindre sur le mur qu’il veut construire entre le Mexique et les USA, j’écrirai WELCOME ! Bienvenue chez vous !

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