Jérémie Cortial évolue entre les arts numériques, la conception de machines un peu loufoques et le plaisir simple du jeu. Il anime pendant plus de 10 ans un atelier de sérigraphie, parfois itinérant, sous le nom de Elshopo pour les enfants ou pour les plus grands, et tous les doux dingues qui croisent son chemin. Même les crêpes qui passent dans son giron sont sérigraphiées avant d’être dévorées.
Avec ce projet, Jérémie digresse, ajoute des strates de pixels, de la couleur, il invente Chienpo, un avatar canin et coiffé à qui il fait vivre de nombreuses aventures, et a toujours dans un coin de la tête l’envie de catalyser tout ça dans un seul projet.
Sa culture ? Les jeux vidéos des 80’s, les mangas et le Japon – dont il parle et écrit la langue –, du skate, de la musique, de la BD et des comics, du DIY à la main et le partage comme dénominateur commun. Il a vu Tron, Star Wars et Metal Hurlant, il a fini Tetris et Doom en mode berzerk, Pac Man et sa table cocktail trône dans le salon, et son QG est actuellement à Lyon, la ville qui a longtemps hébergé la bande à Marvel, version papier en français dans le texte.
On a profité de son passage au Cube à Issy-les-Moulineaux où il installe le Flippaper pour deux ans pour lui poser quelques questions sur ses activités et son activisme.
[portrait par Xavier Girard • les deux photos bleutées – Flippaper, Fundación Telefónica, Madrid, 2019]
« C’est une géométrie assez complexe à définir parce que j’ai des influences parfois contradictoires que j’essaie de concilier de manière si possible assez cool, sans trop tomber dans les clichés. Historiquement ce qui m’a inspiré dans mon parcours inspirant, artistique et actif, c’est la culture jeux vidéos old-school, à l’époque où il y avait encore tout à inventer, du graphisme 8-bit super-flashy, des moyens limités et la magie des médiums qui évoluent. D’ailleurs, au collège, je faisais des fanzines sur le jeu vidéo.
Ensuite la culture Japon, ça m’a plu quand j’étais ado, avec une réticence à ne pas devenir trop geek. Puis j’ai étudié le japonais pendant 15 ans, donc l’écrire et le parler ça me plaît bien. Dans la culture old-school japonaise, il y a un savoir-faire graphique, et aussi beaucoup d’humour et de dérision…
Au lycée, j’ai commencé le skate et ça m’a énormément parlé : la culture visuelle, le « do it yourself », et ça m’a fait entrer dans un truc plus street, plus punk, qui me correspondait bien. DIY et punk dans le sens « en construction » et « en opposition à ce qui se fait ».
J’aime aussi la culture pop, même si quand ça devient mainstream, comme les jeux vidéos, c’est tout de suite moins intéressant. Et c’est aussi qu’il n’y a plus rien à inventer. J’aime bien les choses quand elles sont émergentes, et ensuite je les laisse un peu de côté. (Sourires.) J’aime aussi le design, les objets pour leur fonction et leur coté médiation physique concrète. »
« Quand j’ai eu la Game Boy, la première, grise avec l’écran en noir et blanc, je devais avoir 13 ans, c’était magique à l’époque. Et je me rappelle qu’un an après environ, je rêvais qu’elle existe en couleur, je voyais ça comme un hologramme 3D, un truc de fou !
Ce moment où tu peux rêver de technologie nouvelle, c’était une époque où il y avait tout à inventer, ça évoluait à fond et tout le temps ! Maintenant ça n’existe plus vraiment tout ça, et on n’a plus envie de voir des écrans ! Ils sont devenus trop précis, avec trop de définition, ça te prémâche tout, ça coupe l’imaginaire. »
« C’est un condensé de toutes ces inspirations. Avant le Flippaper, j’ai participé au collectif de sérigraphie Elshopo pendant 10 ans, et ça réunissait déjà pas mal de choses. On faisait des lives de sérigraphie avec une machine qu’on avait créée, qui se présentait un peu comme un jeu d’arcade. On a aussi fait de la sérigraphie sur des crêpes, sur des fesses, des stickers, des objets variés, on a expérimenté un peu tout ce qu’on pouvait.
À la fin, on a fait des ateliers au centre Pompidou Metz quand il a ouvert, et on a choisi de faire une sorte de jeu vidéo sur la sérigraphie. Il fallait que ce soit hyper-simple, comme un Game and Watch Nintendo, les consoles portable classiques comme le Donkey Kong orange. Notre jeu était une grande sculpture de Chienpo qui tient un cadre dans lequel on peut glisser des décors dans lesquels on pourra jouer grâce à une projection vidéo. Il n’y avait que quatre positions et tu pouvais modifier les décors qui étaient faits en sérigraphie (voir la vidéo ci-dessous).
En présentant cette installation au festival de graphisme de Chaumont, j’ai rencontré Roman Miletitch, avec qui on développera le Flippaper. Il présentait une installation hyper-chiante avec une reconnaissance webcam (sourire) et moi c’était low-tech au possible mais un peu fun, donc on s’est dit qu’on allait faire un truc ensemble.
Je me suis dit que c’était le moment de faire un truc sérieux et ce projet en valait la peine, je sentais qu’il était à la croisée de plein de choses importantes. J’ai commencé à réfléchir et je lui ai proposé ce truc du flipper. Et on a mis trois ans pour le développer !
Il y avait cette idée de faire un jeu vidéo, mais pas geek. Il fallait réunir plein de références qui puissent fonctionner ensemble, et que les gens les comprennent. C’est un travail de longue haleine de faire la synthèse d’influences et de réussir à les matérialiser en un seul objet. Il y a une correspondance entre le virtuel et le réel, c’est aussi métaphysique, et cette expérience existe quand on joue avec le Flippaper : tu dessines et ça devient concret. Ça fait partie du rite, c’est magique, c’est l’imagination.
Le joueur se retrouve devant le Flippaper dans un état d’excitation décomplexant parce que ça n’est pas comme s’il avait la pression de faire un beau dessin. Ça clignote, ça met en valeur les couleurs, quoique tu fasses c’est beau, donc ça décontracte. Mais tu es quand même debout face à un objet un peu impressionnant, des gens autour te regardent, il y a ce truc de rite initiatique. Il y a aussi un côté totem auquel on se confronte !
Je dis que le Flippaper est consensuel car rarement des projets ultra-indés, utopiques et sans compromis peuvent plaire à tout le monde et être si positifs. C’est une conjonction qui est extrêmement rare. Ça se reflète dans le design de l’objet, le mix fait qu’il plaît à des fans de Star Wars, de flippers, mais aussi ceux qui aiment les jeux d’arcade Nintendo. Ça n’est pas une critique du monde ni de la société, le but c’est de montrer une autre réalité idéale et positive. »
Pour jouer au Flippaper, rien de plus simple :
• Sur une feuille de papier au format adapté, vous allez pouvoir tracer les contours et obstacles de votre flipper de rêve. Avec un POSCA PC-7M bleu, vous déterminez la surface de jeu et avec des points vous ajoutez les flippers (les lamelles qui renvoient la boule). En rouge, vous dessinez les bumpers qui vont faire circuler la boule (les boules, si vous déclenchez le mode multi-ball !). Des traits verts accéléreront la boule ou la téléporteront. Le jaune sera utilisé pour les différents bidules qui rapportent des points.
• Vous calez votre feuille sur la machine, et un bouton vous permet de scanner votre dessin. Votre flipper est reconnu et ses différents éléments apparaissent en surbrillance.
• Vous pressez l’autre bouton, la boule apparait sur l’écran et c’est parti !
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http://www.jercortial.com • @jercortial
Roman Miletitch – L’autre papa du #Flippaper !
@cosmodule
La casquette sandwich
« J’ai commencé naturellement à dessiner les parcours du Flippaper avec POSCA car ce sont des couleurs hyper-lumineuses, un peu LEGO ou 8-bit. Chaque couleur correspond à un élément du flipper. Quand on scanne l’image, ces éléments vont s’éclairer et devenir actifs, ils vont faire réagir la boule de différentes manières. Quand on commence à bien maîtriser le concept, on peut faire de beaux dessins qui sont fonctionnels et agréables à jouer. »