Cristobal Diaz est aujourd’hui vidéaste, clippeur et scénariste. Dans une autre vie, il a arpenté les rues pour y laisser sa trace à coups de bombes de peinture et de marqueurs colorés, seul, en crew, en bande, avec sa clique.
Depuis quelques années, l’un de ses projets est de convier des artistes, peintres de rue au sens large, derrière sa GRAFFBOX, une sorte de pupitre qui permet de filmer les tracés de ses invités. Le résultat est autant un objet physique, soit les calques qui ont servi de support, que filmique grâce à la caméra qui enregistre l’action.
On est allé à la rencontre de Cristo pour qu’il nous explique tout cela en détails et en images.
Comment as-tu eu l’idée de la GRAFFBOX ?
C’est né d’une envie d’immortaliser le geste d’un artiste en train de peindre un mur ou une œuvre, de manière un peu décalée de ce qui se fait habituellement. C’est l’idée d’être « derrière le mur », la surface sur laquelle l’artiste pose son œuvre.
Deux influences majeures m’ont inspiré : la première est Le mystère Picasso, un film culte de Henri-Georges Clouzot qui date de 1955, dans lequel le réalisateur immortalise le tracé et les différentes étapes de la création des œuvres de Picasso, notamment sur du calque, mais où il explore aussi différents dispositifs de mise en scène pour montrer le travail du plasticien.
Avec le temps et mes différentes expériences de réalisation, j’ai transformé cette première inspiration en un projet artistique concret : la GRAFFBOX.
La seconde inspiration, ce sont les blackbooks, ou sketch books, ces carnets des graffeurs dans lesquels ils s’entraînent, esquissent, et exécutent leurs graffs, leur tags. C’est aussi un objet qui circule, qui est le témoin des différentes rencontres faites par les artistes. Et selon les affinités, un blackbook peut passer entre les mains des potes qui y ajouteront leur signature, une dédicace, ou même une création collective.
En 2015, à l’occasion d’une exposition personnelle où je présentais mes photos à Confluences à Paris – un lieu d’art parisien qui n’existe plus –, j’ai fabriqué la première version de la GRAFFBOX. Un pupitre avec une feuille de calque que l’on pose sur une plaque de plexiglas, sous laquelle une caméra enregistre le mouvement du marqueur sur le calque. Avec ce dispositif il s’agit alors d’immortaliser le geste et le processus et qu’un maximum de monde puisse expérimenter le principe. Ma volonté, c’est de capturer l’éphémère.
Que voulais-tu montrer ou démontrer ?
En premier lieu, je veux montrer le geste du graffeur, la gestuelle, le mouvement, sa manière de faire un tag, un graff, un lettrage. Montrer le processus de création, le work in progress d’une œuvre, où ça commence et comment ça se termine.
Ensuite, je veux aborder le tag en particulier, celui qui a mauvaise réputation, qui n’est pas compris, pas aimé, détesté, qui est considéré comme un acte de rébellion, de dégradation. Je veux montrer qu’il y a aussi une partie non négligeable, voire essentielle, qui est la recherche du style, du flow, une esthétisation de l’écriture et de sa mise en application.
Un tag se façonne pendant des années, des milliers de fois, c’est une manière d’enchaîner les lettres, de les déformer, de les écrire. Il s’agit de dévoiler le réel travail assidu et approfondi de calligraphie, qu’elle soit traditionnelle ou complètement singulière, derrière ces signatures.
Avec la GRAFFBOX, quand on voit le tracé des artistes en train de s’opérer, je pense que l’on se rend compte du travail de recherche qu’il y a derrière. On perçoit le style et le flow que l’on peut donner à une « simple » signature. D’une certaine manière, c’est une forme de sacralisation du tag et cela montre que ça n’est pas si simple à faire.
À l’occasion d’expositions, je réalise des montages dans lesquels je fais dialoguer la musique avec les compostions des artistes. Cette esthétisation et ce rendu ont quelque chose de magnétique, une forme de révélation qui captive le public. Dans ces montages, il ne s’agit pas seulement de mettre en avant uniquement le tag, il y a aussi les graffs, les throw-ups ou flops, et les pièces ou les marsterpieces qui sont des compositions plus élaborées qui mélangent du lettrage, des constructions figuratives ou abstraites, et du dessin.
Au départ, c’était un projet sur les graffeurs, et particulièrement les vandales, ceux qui font ça sur des trains, des métros et dans la rue. J’ai ensuite élargi aux street artistes, des peintres de rue, pas forcément avec le qualificatif graffeur et l’acception que l’on en a habituellement. Ma volonté, c’est de capturer l’éphémère, celui qui s’opère dans la rue et de rendre hommage à cette pratique riche et diverse.
Tu te souviens de la première personne qui a utilisé la GRAFFBOX ? Comment tu as organisé les sessions avec les artistes ?
J’ai donc construit la GRAFFBOX pour cette exposition à Confluences en 2015, et je l’ai testée le soir du vernissage. Une dizaine de personnes sont intervenues dessus dont XARE, SONOR, STACO, NOE TWO, TORE, SPHERE, LEK, RAMSES, et d’autres. C’était un peu bordélique comme peut l’être un vernissage. Très vite je me suis rendu compte que les artistes appréciaient l’expérience et que mon concept pouvait constituer un projet important pour le mouvement graffiti français.
Fin 2016, j’ai pu bénéficier d’une résidence de six mois à La Villa Belleville, et faire passer de nombreux artistes, qui s’est enchainée avec une autre résidence dans l’atelier de Jean Faucheur et de l’association Le M.U.R. Environ 80 artistes sont passés, c’est là où ça a vraiment commencé.
Le projet a été en stand-by jusqu’en 2021 car je n’avais pas de lieu adéquat pour le faire vivre. Et quand je croise Stéphane Carricondo, un des fondateurs du collectif d’artistes 9ème Concept, à qui je parle de la GRAFFBOX, il adhère au projet et me motive en me proposant une place dans leur atelier à Montreuil. Il gère aussi la direction artistique de la Fondation Desperados pour l’art urbain qui a soutenu le projet et j’ai pu refaire la GRAFFBOX qui était vieillissante.
Tout ça, je le fais sur mon temps libre, c’est un projet à longues échéances, et j’aimerais pouvoir faire voyager la GRAFFBOX, dont la nouvelle version est transportable, pour mettre en avant les artistes qui sont dispersés dans toute la France.
Je bénéficie également du soutien de POSCA depuis le début et c’est fondamental, car les interventions se font uniquement avec des marqueurs noirs. C’est la base pour les graffeurs, le marqueur c’est un des outils importants de ce mouvement. Et je voulais que tout le monde fasse la GRAFFBOX avec les mêmes marqueurs et la même encre, qu’ils soient « à la même enseigne », sur un principe esthétique et graphique homogène.
Je me suis imposé des contraintes techniques, je veux que la qualité vidéo tienne à l’épreuve du temps, je filme donc en 6K, ce qui donne des fichiers très lourds qui prennent beaucoup de place à archiver. Par contre, demain je peux faire une projection sur une façade ou un écran à très haute définition. Les formats vont encore évoluer, mais avec le 6K j’ai un peu le temps de voir venir.
Où on-t-a pu voir les films de la GRAFFBOX ?
Le premier projet d’envergure, c’est à la Philharmonie de Paris pour l’exposition HIP-HOP 360, sous le commissariat de François Gautret activiste historique du hip-hop. J’ai eu la chance de montrer un film dans l’espace central de l’exposition, doté d’un écran à 360 degrés. Une quarantaine de minutes projetées par huit vidéoprojecteurs à 360 degrés, accompagné par une musique composée pour l’occasion. C’était très fort, immersif et percutant (voir l’image au-dessus).
De octobre 2022 à juin 2023, lors de l’exposition CAPITALE(S) à l’hôtel de Ville de Paris, j’ai réalisé une installation qui mélangeait création vidéo et exposition des calques. J’ai réalisé un montage d’une heure sur un écran disposé au milieu de plus de cinquante calques (ci-contre).
Et actuellement, il y a trois films projetés côte à côte, au sein de l’exposition LOADING au Grand Palais Immersif (voir la vidéo à la fin de ce post) qui se trouve dans l’Opéra Bastille. Les murs sont en béton brut, ça donne des images texturées, le rendu est super qualitatif. Les trois films mettent en avant le travail de dix femmes artistes, graffeuses, vandales, notamment PÖ, LADY.K, Q.LOTE, SHOOK, SIFAT…
Idéalement qu’est-ce que tu voudrais faire de la GRAFFBOX, des images et des calques ?
Quand j’ai commencé je n’avais pas vraiment de vision, je n’avais pas forcément conscientisé ce que ça pourrait donner. J’avais envie d’accumuler de la vidéo et de me dire que je pourrais faire des montages super stylés. Très vite, avec l’engouement et l’enthousiasme des artistes, l’idée de bâtir un fonds d’archive s’est imposée, il est évident que cette collection de calques ne peut pas et ne doit pas être vendable, il faut qu’elle soit montrée dans des expositions et soit le socle d’installations d’envergure.
Je pense aussi que ce serait un énorme achèvement que la GRAFFBOX entre dans un fond d’art contemporain, que cette collection soit acquise par un musée national. Ce serait une reconnaissance du milieu par l’institution et une mise à l’abri de ce projet, pour qu’il traverse le temps et puisse constituer un fonds archivistique protégé et à disposition pour une consultation.
De ceux qui sont passés derrière la GRAFFBOX, tu peux évoquer certains passages marquants ?
NASSYO [calque ci-dessus] a le record des calques : une quarantaine. C’est le plus prolifique sans aucun doute. Tu le lances avec de la musique et c’est parti. Il dessine, il graffe, tague, il a 10 000 manières de faire des compositions, c’est magique ! On se rend particulièrement compte de son talent, de son potentiel, de sa créativité. J’ai documenté son travail au sens large, ça prend donc de la valeur et du sens d’immortaliser le plus exhaustivement possible.
Il y a aussi BADYPNOZE (calque ci-dessus) pas forcément le tagueur le plus connu, mais qui est une véritable légende dans le XIIIè arrondissement de Paris. Il a un style très proche de la calligraphie, c’est incroyable ce qu’il fait.
Le plus jeune, qui avait 15 ans quand il est venu, c’est CLYDZ et le doyen c’est SAN ONE, qui est de la toute première génération du graffiti. Je suis super fier et honoré de sa participation, il fait partie des TRP et 93MC, le groupe avec lesquels les NTM ont fait leurs premier tags. C’était JOEY STARR, KOOL SHEN, COLT, CHINO, MODE2, MEO, KAY ONE, le terrain de la Chapelle, les premiers métros. Avec SAN et CLYDZ, j’ai ce large panorama et intergénérationnel du graffiti. Du pionnier au petit jeune qui est déjà partout, et ça fait très plaisir.
Et bien sûr, il y a MARKO 93 (ci-dessus) de Saint-Denis, qu’on ne présente plus et qui est connu à l’international. Il navigue entre le tag et la calligraphie, et il peint aussi des images très figuratives, des animaux très réalistes. Il a un travail très original et très poussé.
Je ne cherche pas à avoir uniquement les kings du graffiti et du street art, la GRAFFBOX est ouverte à tous ceux qui laissent leur trace dans la rue. Il y a des jeunes qui font ça depuis quelques mois et qui dans deux ans n’en feront peut-être plus. Certains le font par passion et ont un métier, et d’autres sont des artistes qui en vivent. Le graffiti, c’est aussi ça : une carrière ou juste un moment de ta vie. C’est un mouvement, une culture, un état d’esprit.
• 189 artistes ont tagué, graffé et dessiné sur la GRAFFBOX
• + 1800 calques sont déjà archivés
• + 400 heures de rushs (en moyenne 2 heures par artiste)
• la vidéo est tournée en 6k avec une caméra BlackMagic,
ce qui représente plus 200 téraoctets d’images
• un calque fait 79,5 X 51 cm, ce qui n’est pas un format standard. Ils sont découpés au format de la GRAFFBOX, à la main
• une centaine de POSCA noirs ont été mis à rude épreuve
Plus d’informations sur la GRAFFBOX
https://www.graffbox.com • https://www.instagram.com/_graffbox_
Retrouvez les films et clips de Cristo : https://linktr.ee/cristodiaz
Et s’il vous prenait l’envie de participer à ce projet,
en DM sur le compte Instagram de la GRAFFBOX c’est un moyen de se retrouver derrière…