Pierre-Marie Huet a décidé de faire court et il est devenu PMH au fur et à mesure que ses doodles remplissaient sa vie. De professeur d’histoire, il est passé à artiste à temps complet, calmement et logiquement. Une décision qui l’emmène explorer de nouveaux territoires et lui propose des opportunités stimulantes. Le tout au nom du doodle, cette pratique compulsive et répétitive du dessin de détails, entremêlée, condensée et visuellement dense.
Tout est lié, l’artiste est d’ailleurs encore en lien avec ses anciens élèves, et ne cesse d’en créer de nouveaux, avec des créateurs/créatifs, des enfants, des mécènes, des amoureux du trait bien fait. Il va partager son savoir-faire, généreusement, et n’a pas fini d’aller d’un point à d’autres.
C’est une autre histoire de PMH : Poupougne. Peluche née en 2005 à Redon, offerte à l’occasion d’une fête, au garrot 25 centimètres, négligée un temps, puis prise en photo avec les gens de passage. Un rituel ça devient et le buzz se fait. Poupougne est invitée aux soirées, les gens veulent voir les photos, Pierre-Marie lui créé un Myspace, puis un Facebook. Il l’emmène en voyage, puis ses anciens élèves l’emmène en voyage. Poupougne croise Chirac, Pacino, Sting et Belmondo.
Des journaliste en parlent, du Télégramme à Ouest-France, il finira en couverture du journal Les infos Pays de Redon de l’entre-deux tours de 2012 ayant posé avec les deux candidats : Nicolas et François. Puis le maire de la ville nomme une rue à son nom, de 20 centimètres de large, 250 personnes défilent dans les rues à cette occasion. Une association est créée pour gérer l’emploi du temps de Poupougne, trop sollicité. Soutenir une bonne cause, participer à un mariage, visiter un autre continent… son programme est chargé. Il a d’ailleurs filé un coup de main pour la rénovation d’un petit théâtre de sa ville, avec Jean Rochefort et sa moustache qui ont répondu présents à l’appel. La consécration, la visite de l’usine où il a été créé, à Blois, invité par le PDG.
À ce jour, Poupougne est allé dans plus de 68 pays, a été pris en photo avec 8000 personnes, il a arpenté l’Antarctique, atteint le sommet Mont-Blanc, participé à la Route du Rhum et la Jacques Vabre, et on l’a aperçu sur des chars de la Gay Pride. Il a deux caisses pleines de vêtements et une styliste attitrée. Il ne s’est toujours pas mis au doodle et PMH en est toujours l’heureux propriétaire.
Ça me semble difficile de relier Poupougne à ce que tu fais aujourd’hui !
Finalement non, tu as utilisé le bon mot : relier. J’ai commencé à faire du doodle en 2007, sans savoir que c’était du doodle, en gribouillant, griffonnant pendant les conseils de classe, les conseils municipaux, sur des cahiers, des feuilles. Dans 90% de mes dessins, je relie tous mes motifs, tout est connecté ou relié. Et c’est un peu ça Poupougne, c’est du lien entre les gens, il y a cette connexion, et dans la vie j’aime relier les gens que j’apprécie et qui ont du talent.
Tu as vraiment commencé le doodle pendant les conseils de classe ?!
Oui, mais en fait je restais concentré ! Pendant les conseils de classe, et aussi les conseils municipaux, j’étais un de ceux qui participaient le plus, et tout le monde voyait bien que j’étais pleinement dans la réunion. Et qu’en plus à la fin j’avais un dessin (sourires). D’ailleurs, j’ai gardé ces centaines de dessins, même les plus moches, parce que j’ai toujours le projet de plonger dedans et de m’inspirer pour en faire des toiles. Et là, je suis en train d’aménager un atelier dans mon grenier, je vais enfin pouvoir faire du classement. D’ailleurs quand je faisais cours, je n’ai jamais engueulé un élève parce qu’il était en train de dessiner. Je les laissais faire, je me disais que j’étais pareil.
J’ai gardé des liens avec beaucoup d’anciens élèves, certains me suivent sur les réseaux et ça fait super plaisir. Il y en a plus d’un qui lorsqu’ils commencent à travailler et s’installent, m’achètent des reproductions ou des toiles. J’ai reçu un message hier soir d’un autre à qui on a offert une guitare électrique pour ses 20 ans, et il veut une custo dessus. Et pour mes tous derniers élèves, il y a trois ans, c’était des secondes, ils étaient 37, je me suis lancé – bon j’ai regretté au bout de la cinquième ! – mais je me suis lancé à leur faire un doodle avec leur prénom sur leur dernière copie. J’ai mis la note quand même, mais voilà, j’espère que beaucoup d’entre eux ont gardé ce petit souvenir !
Et comment on passe d’enseigner à artiste à plein temps ?
Ça s’est fait quand même gentiment… J’ai commencé à griffonner en 2007, je suis passé à la peinture sur toile en 2011, j’ai fait ma première expo en 2015. Il y a eu les premières collabs, j’ai commencé à vendre, et je voyais qu’il y avait un potentiel. Mais en étant prof, je suis passé à côté de plusieurs projets par manque de disponibilité. Je me suis dit que si je consacrais tout mon temps à ça, il n’y a pas de raison que ça ne marche pas. Donc il y a trois ans, j’ai pris une disponibilité, et je n’ai pas vu le temps passer depuis, c’est une suite de projets, ça se multiplie.
Au début, je dessinais partout et tout le temps, dès que j’avais un crayon entre les mains, mais je ne prenais pas ça au sérieux, et je ne savais même pas que c’était un style. C’est un ancien élève qui m’a dit un jour : « En fait, tu fais du doodle. » Je lui ai répondu : « Oui, mais c’est quoi ? » Et il m’a dit d’aller voir sur Google ! (Sourires). Et quand tu tapes le mot, tu tombes sur beaucoup d’artistes asiatiques qui font ce qu’on appelle du griffonnage maîtrisé en fait. Moi, je le faisais complètement inconsciemment et j’avais inventé mes propres motifs, car dans le doodle tu as beaucoup de motifs identiques qui reviennent, des formes, des objets, et j’ai les miens.
On me demande souvent qui m’inspire dans l’art, et évidemment on me parle de Keith Haring. Mais ça n’est pas tout à fait pareil ce qu’il fait, il est davantage dans le trait et ses personnages iconiques. Par contre, j’ai découvert, depuis, le travail de Jean Dubuffet, et il avait tout compris. Dès les années 50 il faisait ça : des formes, des traits, des couleurs, et ça me parle beaucoup plus que Keith Haring. J’ai fait une expo il y a quelques semaines dans les Côtes-d’Armor, et le journaliste qui m’interviewait me parlait de « dessin dansant », une expression de Jean Dubuffet, le mouvement à travers les formes.
Ce qui plaît aux gens qui regardent ce que je fais, c’est que l’œil se balade, il n’y a rien d’imposé, sauf quand je fais un motif en défonce au centre, un logo par exemple. L’œil se dirige vers ça, et après il y a une invitation au voyage dans le dessin. Et comme c’est un mélange entre des motifs figuratifs et de l’abstrait avec mes propres formes, tu te racontes l’histoire que tu veux, tu peux le retourner et voir autre chose. D’ailleurs, je bosse comme ça mes toiles et mes dessins, je tourne autour, après il faut caler la signature quelque part, donc ça impose un sens, du coup tu as quatre possibilités d’interprétation.
Que réponds-tu aux gens qui disent : « Le doodle c’est facile » ?
Je leur dis « Allez-y ! Faites-le ! » Effectivement ça peut paraître facile, j’explique souvent que j’ai commencé à gribouiller au téléphone, comme tout le monde, et après c’est un travail d’application, de gestion de l’espace et ensuite de mise en couleurs, ce qui n’est pas le plus facile. Et quand je fais les ateliers avec les scolaires, c’est la phase où ils ont le plus de mal. Que ce soit équilibré et que l’œil soit satisfait, ça n’est pas facile en fait. Mais j’empêche personne de penser que c’est facile, rejoins-moi dans la team doodle et on y va !
Ce que j’aime dans le doodle que je pratique, c’est l’équilibre et le lâcher prise. C’est une écriture graphique automatique, tu ne sais pas trop où la main va. C’est le crayon ou la main qui se baladent, évidemment à certains moments j’anticipe des espaces que je vais combler plus tard. La question qui revient le plus souvent c’est : « Avais-tu une idée en tête de ce que tu allais faire ? » La plupart du temps, c’est non. Je sais quel espace je vais occuper mais je ne sais pas comment. C’est un savant équilibre entre le lâcher prise et la maîtrise du trait, et c’est un peu paradoxal parce que tu dois être hyper-appliqué pour faire un gribouillage de compétition !
Tout à l’heure tu disais « facile », et je dirais plutôt « accessible ». C’est de l’art accessible à tout le monde. Ça plaît autant à mon voisin, charpentier, qui me dit qu’il n’a jamais mis les pieds dans un musée, qu’à des galeristes et des gens du monde de l’art. C’est du trait, des formes, des détails, c’est libre d’interprétation. Tu n’as pas besoin d’avoir fait les Beaux-Arts pour apprécier un doodle quel qu’il soit, en tout cas les miens.
Si je faisais des portraits ou des aquarelles de bateaux dans les ports, je n’aurais pas eu un potentiel de développement aussi important. Je fais des ateliers avec des scolaires et je peux aussi réaliser des fresques au sein d’entreprises, tout en gardant mon trait et mon style. C’est une vraie richesse de pouvoir décliner sans s’ennuyer, c’est aussi le POSCA qui aide à ça. Je peux dessiner sur des guitares, du bois, des vitrines et des dizaines de supports différents. Le piège, c’est de partir dans tout et n’importe quoi, c’est tentant du fait des sollicitations, mais je suis plutôt du genre patient, et je préfère prendre le temps afin de trouver la bonne collaboration au bon moment, un truc de qualité avec une marque qui me plaise.
Tu dessines tous les jours ? Tu es discipliné ?
Il n’y a pas de journée type, et je ne suis pas méga-organisé. C’est un peu le bazar, je fais plusieurs choses en même temps, je passe beaucoup de temps au téléphone, je dessine pendant ce temps-là. Si je me mets sur une toile, je m’impose des horaires et je bosse en musique.
J’ai l’impression que ton dessin s’est simplifié depuis quelque temps ?
Je fais pas mal de toiles depuis un moment, et je constate que mes dessins les plus complexes ont été faits avec des mines très fines. J’ai fait deux lithos sur les mécanismes de montre et les moteurs de voiture. On a travaillé avec l’imprimerie Idem Paris et c’était une super expérience. Ils savent allier la tradition de la lithographie avec la technologie sur des presses qui ont plus de 100 ans, et le résultat est bluffant. Quand tu fais des fresques au POSCA 17K, comme aujourd’hui la vitrine du skate-shop Le 39, tu n’as pas la même inspiration. Je dis souvent ça quand j’explique ce que je fais : c’est la main et le crayon qui avancent tout seuls. Selon le type de papier je ne vais pas être inspiré pareil, et en fonction du feutre, de la toile, je ne vais pas partir sur les mêmes formes. Des vieux motifs vont venir naturellement, et ça m’arrive de partir à l’opposé pour me surprendre moi-même. Je pars dans une autre direction pour ne pas avoir la routine des mêmes motifs.
Je voulais aborder ce sujet aussi, des artistes te disent qu’ils ne peuvent pas faire de travail de commande, et je respecte ça, mais personnellement je ne refuse pas systématiquement une commande car ça peut m’emmener ailleurs. Les mécanismes de montre, c’est mon éditeur de Paris qui m’a proposé d’en faire, et quand j’ai vu les types de formes, ça m’a inspiré tout de suite. J’ai aussi fait une fresque dans un cabinet d’assurances l’année dernière, j’ai doodelisé un constat amiable, les panneaux accident et d’autres symboles de leur univers. Je ne serais pas allé naturellement là-dedans, donc ça m’emmène vers de nouveaux motifs, tout en mélangeant, intégrant et connectant les miens.