On a discuté un moment avec Julien Deniau, skateur, photographe et artiste émigré à Barcelone depuis plus de 20 ans. Il nous a parlé de son parcours et les différentes activités qui l’animent depuis son adolescence, il a évoqué Le Chesnay, où tout a commencé, ses amis, la photographie et les raisons pour lesquelles il a choisi de recycler ses vieilles planches de skateboard en bois d’érable.
Pendant le fameux confinement, Julien se lance dans une série liée au hip-hop de son adolescence. Il découpe, peint et vernit les artistes qui ont tourné dans sa chaine stéréo. Il a exposé il y a quelques semaine ses créations à Barcelone, et c’est aujourd’hui à Paris dans le magasin LE 39 qu’il présente ses planches, et ce jusqu’à la fin du mois d’octobre !
Inspekt da Decks, c’est en référence au rappeur du Wu-Tang Clan Inspectah Deck, dont le premier album a disparu dans un disque dur déficient et qui aujourd’hui rappe dans le groupe Czarface. Et dans le jargon du skate, DECK est le petit mot pour dire planche, aux USA principalement, mais aussi partout ailleurs !
LE 39 à Paris • 39 rue Étienne Marcel / Paris
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http://unavista.squarespace.com/
« Je commence à faire du skate vers 89/90, dans mon patelin Le Chesnay à côté de Versailles, avec les jeunes du quartier. Ensuite, il y a eu le skate-park des Matelots à Versailles qui a ouvert, donc on skatait tout le temps là-bas, et on a rencontré une partie des skateurs parisiens. Et j’ai aussi rencontré Nicolas Malinowsky et ensemble on est allés à tous les contests (compétitions) en France, du coup j’ai rencontré des gens partout dans le pays, un moment où il n’y avait pas Internet.
Ensuite, je me suis installé à Paris, je bossais dans un labo photo pendant que je faisais un C.A.P photo. Je bougeais souvent avec Artus (de Lavilléon) et Roland, on allait à la Fontaine des Innocents, et j’ai été sponsorisé par Adidas pour faire du skate avec Rico (Éric Saxy🖤), et on a eu l’occasion d’aller partout en Europe. En 2000, on décide avec Rico et un autre pote de partir vivre à Barcelone, on a signé pour un appartement pour 5 ans, et finalement j’y suis encore ! Et dans cet appart’, tous les skateurs de la planète y ont dormi au moins une nuit ! »
« Je n’ai pas eu mon C.A.P photo à cause de la matière ‘dessin’, donc j’étais dégoûté et je n’ai pas dessiné pendant plus de dix ans. Je me suis concentré sur la photo et le skate. En 2006, j’ai participé à une expo de photo avec des street artistes, dont Chanoir, et ça m’a motivé à peindre et dessiner à nouveau. Du coup, je me suis remis dedans, j’ai peint sur des toiles, comme tout le monde, et un jour j’en ai eu marre j’ai voulu faire autre chose. J’avais une pile de mes vieilles planches de skate usagées, et j’ai commencé à peindre dessus. Et comme j’aimais aussi travailler le bois, j’ai décidé de les découper pour faire quelque chose de différent. J’ai commencé et je me suis dit que c’était mon truc, et je n’ai fait plus que ça.
Peindre sur les planches de skate, ça existait, mais les découper et les assembler comme je le fais, je ne l’ai pas spécialement vu ailleurs, je pense être un peu précurseur (sourires). Depuis tout petit je travaille le bois, on avait une maison à la campagne et mes parents ne voulaient pas m’acheter des pistolets en plastique, du coup j’allais dans la forêt, je coupais du bois et je me fabriquais mes jouets moi-même.
Avant de réussir à faire une planche qui me plaise, ça a pris du temps, j’ai été content de mon travail au bout de trois/quatre ans. Ça m’a aussi pris du temps pour trouver mon style. Au début je faisais tout et n’importe quoi dès que j’avais une idée, et un jour, je suis allé en Bolivie et au Mexique, et j’ai adoré ces cultures maya et inca, et ça m’a inspiré. Je me suis dit que j’allais faire un mix entre street art, art ancien des mayas, et j’ai fait des recherches pour trouver des motifs des différents pays. J’essaie toujours qu’il y ait des petites touches d’art folklorique par-ci par-là (sourires). »
« Quand je fais des animaux, je fais d’abord un dessin en noir et blanc sur papier au stylo, après je l’adapte à la forme de la planche en utilisant du papier calque. Le même dessin je le refais plusieurs fois pour l’adapter parfaitement à la forme de la planche, et quand il est fait, je découpe les différents bouts, que je ponce avec le grip (papier de verre noir autocollant qui se met sur les planches de skate pour que les pieds ne glissent pas) de la planche que j’ai enlevé avec un sèche-cheveux pour faire fondre la colle. C’est du vrai recyclage, j’y tiens ! Quand le dessin est encré, je fais les fonds à l’acrylique et tous les détails au POSCA, et j’aime bien les mélanger pour faire mes propres couleurs.
Le recyclage, ça a été toujours important pour moi. J’utilise toujours des planches usagées, jamais de planches neuves, je pense que c’est intéressant le fait qu’elles aient été skatées. Plus elles sont larges, plus c’est intéressant pour moi, donc ce sont les skateurs de bowl (les grands skate-parks en béton plein de courbes) qui auront les planches les plus larges et qui sont mes meilleurs fournisseurs. La plus grosse pièce que j’ai construite, c’est un aigle de plus de deux mètres d’envergure avec 15 planches, ça m’a pris trois mois. Et je n’en ferai pas deux ! Sauf si quelqu’un tient absolument à en avoir un (sourires). »
« J’essaie toujours d’envoyer des messages dans mon art. Quand je fais des animaux, je choisis des espèces en voie de disparition. J’ai aussi réalisé une série avec des masques à gaz, ça évoquait l’écologie, la série a été exposée au 59 Rivoli, et elle a bien fonctionné.
Cette série hip-hop, c’est en rapport avec la musique qui m’a bercé dans les années 90. Le Wu-Tang, Jeru the Damaja, Snoop, c’est le son qu’on écoutait. Cette série je l’ai commencée fin 2019 après avoir passé une soirée avec Jeru qui était en tournée avec la marque de chaussure DC. Il avait plein d’anecdotes, et ça m’a inspiré, j’ai fait une board avec lui, et dès qu’il y a eu le confinement, j’ai commencé cette série. Celle du Wu-Tang a été une mission de ouf. J’ai commencé avec le logo et l’abeille qui sont typiques du groupe, ensuite j’ai cherché des photos de chaque artiste et je voulais cet effet 3D, donc ils sont tous de tailles différentes pour donner de la profondeur. Ensuite j’ai peint, et j’ai tout vernis en brillant. Et là, c’était une grosse bêtise ! Quand j’ai ajouté les LED, on ne voyait plus rien à cause des reflets. Du coup, j’ai tout poncé avec le papier de verre le plus fin possible pour enlever le verni sans abîmer la peinture, et j’ai mis une couche de verni mat. Ensuite, il faut tout assembler avec des vis, c’est un peu de l’ingénierie ! »
« Celles que je retiens… il y a le lion que j’ai fait il y a plusieurs années, ça a été ma favorite pendant longtemps, et je l’ai vendue. Il y a une calavera mexicaine que j’aime beaucoup, elle est dans mon salon, et je ne vais pas la vendre ! Il y a les deux éléphants que j’aime particulièrement, et dernièrement sur la série hip-hop, ma préférée est Missy Elliot. Je me suis pris la tête un mois pour trouver l’idée et comment la faire, et un mois pour la fabriquer. Réaliser ce portrait en forme de ruban a été une vraie prise de tête.
Sinon, d’une manière générale, je travaille avec une simple scie sauteuse et des petites lames, parfois j’essaie de nouvelles choses, et je fixe tout avec des vis, comme ça pour les expos je peux tout transporter dans des valises et tout monter sur place. Pas besoin de louer un camion pour tout emmener ! »